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LE RENDEZ-VOUS.

quelquefois tenté de supposer qu’elles appartiennent au corps délicat d’une jeune fille. Il était blond, mince et grand. Son costume avait ce caractère de recherche et de propreté qui distingue les fashionnables de la prude Angleterre. On eût dit qu’il rougissait plutôt de pudeur que de plaisir à l’aspect de la comtesse. Une seule fois Julie leva les yeux sur l’étranger ; mais elle y fut en quelque sorte obligée par son mari, qui voulait lui faire admirer les jambes fines d’un cheval de race pure.

Les yeux de Julie rencontrèrent alors ceux du timide Anglais ; et, dès ce moment, le gentilhomme, au lieu de faire marcher son cheval près de la calèche, la suivit à quelques pas de distance en arrière.

À peine la comtesse regarda-t-elle l’inconnu. N’apercevant aucune des perfections humaines et chevalines qui s’offrirent à sa vue, elle se rejeta au fond de la voiture, après avoir laissé échapper un léger mouvement de sourcils, comme pour approuver son mari.

Là-dessus, le colonel se rendormit, et les deux époux arrivèrent à Tours sans s’être dit une seule parole, et sans que les ravissans paysages de la changeante scène au sein de laquelle ils voyagèrent, attirassent une seule fois l’attention de Julie. Quand son mari sommeilla, elle le contempla à plusieurs reprises. Au dernier regard qu’elle lui jeta, un cahot ayant fait tomber sur les genoux de la jeune femme un médaillon suspendu à son cou par une chaîne de deuil, le portrait de son père lui apparut soudain. À cet aspect, des larmes, jusque-là réprimées, roulèrent dans ses yeux.

L’Anglais vit peut-être les traces humides et brillantes que ces pleurs laissèrent un moment sur les joues pâles de la comtesse, mais que l’air sécha promptement.

Chargé par l’Empereur de porter des ordres au maréchal Soult, qui avait à défendre la France de l’invasion faite par les Anglais dans le Béarn, le colonel d’Aiglemont profitait de sa mission pour soustraire sa femme aux dangers dont Paris