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LITTÉRATURE.

Il bâilla, regarda le paysage ; et, posant alors la main sur le bras d’une jeune femme soigneusement enveloppée dans un vitchoura, il lui dit d’une voix enrouée :

— Tiens, chérie, réveille-toi pour examiner le pays ? Il est magnifique.

À ces mots, Julie avança la tête hors de la calèche. Un bonnet de marte lui servait de coiffure ; et comme les plis du manteau fourré déguisaient entièrement ses formes, on ne pouvait voir que sa figure.

Julie d’Aiglemont ne ressemblait déjà plus à la jeune fille qui courait naguère avec joie et bonheur à la revue des Tuileries. Son visage, toujours délicat, était privé des couleurs roses qui lui donnaient jadis un si riche éclat, et les touffes noires de quelques cheveux défrisés par l’humidité de la nuit faisaient ressortir la blancheur matte de sa tête, dont la vivacité semblait engourdie. Cependant ses yeux brillaient d’un feu surnaturel ; et, au-dessous de leurs paupières, quelques teintes violettes se dessinaient sur ses joues fatiguées. Elle examina d’un œil indifférent les campagnes du Cher, la Loire et ses îles, Tours et les longs rochers de Vouvray. Mais ne regardant même pas la ravissante vallée de la Cise, elle se rejeta promptement dans le fond de la calèche, et dit d’une voix qui, en plein air, paraissait d’une extrême faiblesse :

— Oui, c’est admirable !…

— Julie, n’aimerais-tu pas à vivre ici ?…

— Oh ! là ou ailleurs !… dit-elle avec insouciance.

— Souffres-tu ?… lui demanda le colonel d’Aiglemont d’un air inquiet.

— Oh non !… répondit la jeune femme avec une vivacité momentanée.

Elle contempla son mari en souriant, et ajouta :

— J’ai envie de dormir.

Le galop d’un cheval ayant retenti soudain, Victor d’Aiglemont laissa la main de sa femme, et tourna la tête vers un coude que la route fait en cet endroit. Au moment où Julie ne fut plus vue par le colonel, l’expression de gaîté qu’elle