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LE RENDEZ-VOUS.

Pendant que ces événemens se passaient, la jeune fille avait saisi le bras de son père ; elle s’y était cramponnée sans savoir qu’elle le tenait, tant un sentiment profond et indéfinissable l’absorbait dans la contemplation de ces tableaux étourdissans et harmonieux. Involontairement, elle révélait ainsi à son père toutes les pensées dont elle était agitée, par la pression plus ou moins vive que ses jeunes doigts faisaient subir au bras qu’elle tourmentait. Quand Victor fut sur le point d’être renversé par le cheval, elle s’accrocha plus violemment encore à son père, comme si elle eût été elle-même en danger de tomber de cheval.

Le vieillard contempla, avec une sombre et douloureuse inquiétude, le visage frais et épanoui de sa fille. Des sentimens de pitié, de jalousie et d’amour, des regrets même se glissèrent dans toutes ses rides contractées. Mais quand les sourires qui pliaient et dépliaient les petites lèvres rouges de sa fille, et quand ses yeux brillans, dans le cristal desquels le mouvement de bataillons en marche semblait se reproduire, lui dévoilèrent un amour qu’il soupçonnait déjà, il dut avoir de bien tristes révélations de l’avenir, car sa figure offrit alors une impression sinistre.

En ce moment, Julie ne vivait que de la vie du beau militaire. Une pensée plus cruelle que toutes celles qui avaient effrayé le vieillard crispa tous les traits de son visage souffrant, quand il vit le capitaine d’Aiglemont échanger, en passant devant eux, un regard d’intelligence avec Julie, dont les yeux étaient humides, et dont le teint avait contracté une vivacité extraordinaire. Alors il emmena brusquement sa fille dans le jardin des Tuileries.

— Mais, mon père, disait-elle, il y a encore sur la place du Carrousel des régimens qui vont manœuvrer…

— Non, mon enfant, toutes les troupes défilent…

— Je pense, mon père, que vous vous trompez, car M. d’Aiglemont a dû les faire avancer…

— Mais moi, ma fille, je souffre !…

Julie n’eut pas de peine à croire son père quand elle eut