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LITTÉRATURE.

si long-temps l’admiration des Parisiens et des étrangers. C’était pour la dernière fois que la vieille garde exécuterait les savantes manoeuvres dont la pompe et la précision étonnaient quelquefois même ce géant, qui s’apprêtait alors à son duel avec l’Europe.

— Allons donc plus vite, mon père ! disait la jeune fille avec un air de lutinerie, en entraînant le vieillard. J’entends les tambours.

— Ce sont les troupes qui viennent, répondit-il.

— Ou qui défilent !… Tout le monde revient ! répliqua-t-elle avec une amertume enfantine qui fit sourire le vieillard.

— La parade ne commence qu’à midi et demi !… dit le père, qui marchait presqu’en arrière de la petite personne impatiente.

À voir le mouvement que la jeune fille imprimait à son bras droit, on eût dit qu’elle s’en aidait pour courir ; et sa petite main, couverte d’un gant jaune, et tenant un mouchoir blanc à demi déplié, ressemblait à la rame d’une barque qui fend les ondes.

Le vieillard souriait par momens ; mais parfois aussi, une expression soucieuse passait sur sa figure desséchée : son amour pour cette ravissante créature lui faisait autant admirer le présent que craindre l’avenir. Il semblait se dire tour à tour :

— Elle est heureuse et belle !… Le sera-t-elle toujours ? Les vieillards sont assez enclins à doter de leurs chagrins présens l’avenir des jeunes gens.

Quand le père et la fille arrivèrent au péristyle du pavillon sur le haut duquel flottait le drapeau tricolore, et sous lequel passent les promeneurs qui veulent se rendre du jardin des Tuileries dans la cour, les factionnaires crièrent d’une voix grave :

— On ne passe plus !

La jeune fille, se haussant sur la pointe des pieds, aperçut une foule de jolies femmes parées et de jeunes gens, qui