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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

Alors tout ce que la politique habile, l’esprit de conservation et de bon sens pouvaient apporter d’adoucissement dans une entreprise si âpre et si tranchée, Tibérius s’y prêta ; âme généreuse et tendre, mélange d’irrésistible volonté et de douceur charmante dans le caractère, il descendit, pour gagner le sénat, pour désarmer son collègue Octavius, aux prières, à toutes les concessions ; mais il ne recula jamais dans l’exécution de son dessein : sur la place de Rome, il en démontre la légitimité aux yeux et aux oreilles de toute l’Italie. Il confond ces patriciens, qui refusent à la démocratie victorieuse le prix de son sang ; il revendique avec un invincible ascendant les droits de ces malheureux plébéiens, et il termine par ces admirables paroles : « On les appelle les maîtres du monde, et ils n’ont pas en propriété une motte de terre. » La loi passa ; le sénat nomma des commissaires. Deux ou trois ans après, Tibérius mourait sous les coups de l’aristocratie, ameutée par Scipion Nasica ; et l’entreprise demeura suspendue.

Caïus avait neuf ans de moins que son frère ; il ne put que lui succéder, et non pas s’associer à ses efforts : peut-être ces deux hommes réunis eussent-ils eu une meilleure destinée. Qu’il est beau de voir Caïus pas du tout jaloux de se jeter sur-le-champ dans la même aventure que son frère ! Non. Il hésite, il délibère, il rêve, il est triste. Il faut que les plébéiens lui mettent des inscriptions sur les statues du Forum pour lui demander s’il oublie son frère, sa gloire et ses devoirs de Romain. Enfin il se dévoue, avec un pressentiment secret de marcher, comme son frère, à sa ruine. Il propose plusieurs lois pour augmenter le pouvoir du peuple et affaiblir celui du sénat ; par l’une, il établit des colonies, et distribue des terres aux pauvres citoyens qu’on y envoie ; une autre ordonnait d’habiller les soldats aux frais du trésor public ; une troisième donnait aux alliés le même droit de suffrage qu’aux citoyens de Rome ; enfin il adjoignit aux trois cents sénateurs qui occupaient alors les tribunaux, autant de chevaliers romains. Malgré ces diverses entreprises, on