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MOEURS DES BRIGANDS ARABES.

tête. Enfin on place en travers de ce tombeau quelques pieux de tente, sur lesquels on empile des sacs de blé et autres objets pesans, de manière à ne laisser au-dessus du visage du prisonnier qu’une étroite ouverture par laquelle il puisse respirer.

Quand le camp doit être transporté d’un lieu à un autre, on jette une pièce de cuir sur la tête du haramy, on l’enlève, et on le place sur un chameau, ayant toujours les pieds et les mains liés. Partout où l’on s’arrête, on lui creuse pour prison la fosse, ou plutôt le tombeau que nous venons de décrire. Quoique le prisonnier soit ainsi enseveli tout vivant, il ne perd jamais l’espoir de s’évader. Cette pensée occupe constamment son esprit, tandis que, de son côté, le rabat tâche de lui arracher la plus forte rançon possible. S’il appartient à une riche famille, jamais il ne fait connaître son véritable nom ; mais il se donne toujours pour un pauvre mendiant. S’il est reconnu, comme cela arrive d’ordinaire, il est obligé de donner, pour prix de sa rançon, tout ce qu’il possède en chevaux, en chameaux, en moutons, en tentes, en provisions et en bagages. Son obstination à soutenir qu’il est dans l’indigence et à cacher son vrai nom prolonge quelquefois pendant six mois ce genre d’emprisonnement. Au bout de ce temps, on lui permet d’acheter à peu de frais sa liberté ; ou bien, si la fortune le favorise, il trouve gratuitement le moyen de s’évader. Des coutumes établies depuis longues années chez les Bédouins contribuent puissamment à amener ces résultats. Si, du fond du trou où il est couché, il a l’adresse de cracher sur le visage d’un homme ou d’un enfant sans s’être soumis à la formule de renonciation mentionnée plus haut, il est censé avoir touché un protecteur ou un libérateur ; ou, si l’enfant lui a donné un morceau de pain, le haramy invoque le privilége d’avoir mangé avec son libérateur[1] ; et quand même cette personne serait un proche

  1. L’anecdote suivante, que j’ai souvent entendu raconter, montre comment s’y prit un rabit, étroitement emprisonné, pour obtenir sa