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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

Une retraite si précipitée répandit l’effroi dans la capitale[1]. On ferma les boutiques pour les préserver du pillage de l’ennemi, et les prisonniers russes, à qui la générosité polonaise avait permis le libre séjour de Varsovie, parcouraient les rues en poussant des cris de joie féroces. Ils étaient encouragés dans ces démonstrations par les partisans de la Russie, bien résolus, pour conserver leur vie et leurs places, à rejeter toute l’insurrection du 29 novembre sur la jeunesse, sur les clubs, sur Lelewel, sur Romain Soltyk, sur tous les hommes enfin les plus dévoués à la patrie. Et tout cela se passait à la lueur des flammes qui dévoraient la malheureuse Praga ; pendant deux jours entiers, une fumée épaisse mêlée d’étincelles couvrit l’horizon. Les Russes n’étaient séparés de Varsovie que par la Vistule, et plusieurs maisons sur le quai eurent leurs vitres brisées par les balles ennemies.

Le 26, Radziwill, suivi d’un grand nombre de généraux et d’officiers de tous grades, se présenta à la séance du gouvernement national. On forma aussitôt un conseil de guerre, dans lequel on discuta la question de la défense de Varsovie. L’incertitude et la consternation étaient sur tous les visages. On n’avait eu que trois mois pour élever à la hâte, sur un terrain sablonneux, des fortifications que quelques coups de canon suffiraient pour détruire, d’autant plus que, dans cette saison rigoureuse, on n’avait pu se procurer du gazon pour les recouvrir. Du côté de Praga, il est vrai, la tête de pont arrêterait l’ennemi ; mais s’il tentait de passer la Vistule sur d’autres points pour attaquer Varsovie par derrière, sa victoire était presque certaine. De cette triste situation on se reportait naturellement à la bataille de Grochow qui l’avait amenée ; on convenait que l’ennemi aurait été battu, s’il avait eu affaire à un général habile. Les officiers faisaient de vifs reproches à Radziwill, et celui-ci répondait avec aigreur. — « Ne vous offensez point, dit alors Skrzynecki ; nous sommes

  1. C’est le 25 janvier que la diète polonaise avait déclaré le trône vacant, et Diebitch avait promis à Nicolas de le rétablir le 26 février.