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LES ALPES.

laisse traîner jusque dans la verdure de Chamonix, se dessine le profil découpé du glacier des Bossons (Buissons), dont la merveilleuse structure semble d’abord offrir au regard je ne sais quoi d’incroyable et d’impossible. C’est quelque chose de plus riche, sans contredit, et peut-être même de plus singulier que cet étrange monument celtique de Carnac, dont les trois mille pierres, bizarrement rangées dans la plaine, ne sont plus simplement des pierres, et ne sont pas des édifices. Qu’on se figure d’énormes prismes de glace, blancs, verts, violets, azurés, selon le rayon de soleil qui les frappe, étroitement liés les uns aux autres, affectant une foule d’attitudes variées, ceux-là inclinés, ceux-ci debout, et détachant leurs cônes éblouissans sur un fond de sombres mélèzes. On dirait une ville d’obélisques, de cippes, de colonnes et de pyramides, une cité de temples et de sépulcres, un palais bâti par des fées pour des âmes et des esprits ; et je ne m’étonne pas que les primitifs habitans de ces contrées aient souvent cru voir des êtres surnaturels voltiger entre les flèches de ce glacier à l’heure où le jour vient rendre son éclat à l’albâtre de leurs frontons et ses couleurs à la nacre de leurs pilastres.

Au-delà du glacier des Bossons, vis-à-vis le prieuré de Chamonix, s’arrondit la croupe boisée du Montanvert ; et plus haut, sur le même plan, apparaissent les deux pics des Pélerins et des Charmoz, qui ont l’aspect de ces magnifiques cathédrales du moyen âge, toutes chargées de tours et de tourelles, de lanternes, d’aiguilles, de flèches, de clochers et de clochetons, et entre lesquels le glacier des Pélerins répand ses ondulations, pareilles à des boucles de cheveux blancs sur la tête grise du mont.