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LES ALPES.

en saillie sur un abîme, communique de la vallée de Servoz à la vallée de Chamonix. On y glisse à chaque instant sur de larges dalles de granit qui font étinceler le fer des mulets. À droite, on voit pendre sur sa tête la racine des grands mélèzes déchaussés par les pluies ; à gauche, on peut pousser du pied leur tête effilée comme l’aiguille d’un clocher. Une vieille femme, idiote et infirme, assise dans une sorte de niche roulante, est à l’entrée de cette route hasardeuse, et sollicite la pitié des passans. Il me sembla voir une de ces fées mendiantes des contes bleus, qui attendaient un aventurier au bord du chemin, et décidaient sa perte sur un refus ou son bonheur sur une aumône.

À peine a-t-on quitté la mendiante, qu’on rencontre une croix dressée au bord du gouffre. Il faut passer vite devant cette croix ; elle signale un malheur et un danger.

Un peu plus loin on s’arrête. Il y a là un écho extraordinaire. Autrefois, avant que le docteur Pocock eût de nouveau découvert les merveilles de cette vallée de Chamonix, concédée dans le onzième siècle par Aymon, comte de Genève, à Dieu et à saint Michel Archange[1],

  1. Un savant, originaire de ces montagnes mêmes, a bien voulu communiquer à l’auteur la pièce suivante, qui nous semble assez curieuse, et qui était à peu près inconnue.

    Fondation du prieuré de Chamonix par Aymon, comte de Genève.

    « In nomine sanctæ et individuæ Trinitatis.

    » Ego, Aymo, comes Gebennensis, et filius meus Geroldus, damus et concedimus Domino Deo Salvatori nostro, et sancto Michaeli Archangelo, de Clusâ omnem campum munitum cum appenditiis suis, ex aquâ quæ vocatur Dionsa, et rupe quæ vocatur Alba, usque ad Balmas, sicut ex integro ad comitatum meum pertinere videtur ; id est, terras, sylvas, alpes, venationes, omnia placita et banna, et monachi Deo et Archangelo servientes hoc totum habeant et teneant