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ÉPOPÉE DES BOHÊMES.

adossées l’une à l’autre, comme l’aigle à deux têtes, déchiquetèrent, chacune à sa manière, le côté de l’Orient qui vint les attaquer. Après cette lutte, qui donna à la race son unité, toutes les tribus se débandèrent. L’une d’elles, véritable aventurière, s’insinua plus avant au cœur de l’Allemagne. C’est la Bohême à laquelle appartiennent spécialement les chants dont nous allons parler. Égarée dans sa route, cherchant fortune à l’étranger avec ses sorcières, ses enchanteurs, ses bateleurs, ses villes des morts, sa langue vive et résonnante, son origine équivoque ; heureuse, joyeuse avec son ciel de Prague, avec ses flots de l’Elbe, cette petite nation isolée est elle-même dans l’histoire une folâtre Bohémienne au milieu du cercle grave des tribus germaniques dont elle est entourée.

Mais cet isolement fut cause qu’elle cultiva mieux qu’aucune autre tout ce qui pouvait lui rappeler son origine. Séparée par l’histoire politique des populations auxquelles elle était alliée par le sang, elle chercha au moins à se rattacher de nouveau, par l’imagination et la religion du passé, à la souche commune dont elle avait été violemment rejetée. Ce qui a été recueilli de plus profond et de plus indigène sur la race slave, est dû à la Bohême. C’est là que la science des origines est devenue une exaltation de patriotisme. D’ailleurs le hasard s’en est surtout mêlé. Il y a quelques années, en 1818, un homme[1], en montant dans la tourelle de l’église de Koeniginhof, découvrit par hasard, sous des piliers écroulés, un rouleau de feuilles de parchemin. L’écriture de ces manuscrits était en lettres latines du xiie siècle, et les lignes se suivaient sans interruption comme dans un ouvrage en prose. En les examinant au jour, il se trouva que ces manuscrits étaient des fragmens de poèmes des temps primitifs de la Bohême. La même année, ils furent publiés, et ils excitèrent un enthousiasme pareil à celui qu’avaient fait naître, à divers intervalles, les romances du Cid, le Heldenbuch ou livre des

  1. M. Hanka.