Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Le Vieux Canonnier.

Un canonnier n’est pas un soldat comme un autre : il a une manière d’être à lui qui le distingue plus encore que l’uniforme de rigueur, bleu et rouge, — une tournure, une physionomie qui le feraient reconnaître, même sans les canons qui se croisent sur son front, chiffre de l’artilleur, — sans la crinière écarlate qui pend à son schakot comme aux étendards des pachas.

Vous voyez bien ce long tuyau de bronze, couché sur un essieu, avec des anses pour le soulever, — si vous aviez les mains assez fortes, — avec une crosse qui tombe à terre, et sillonnera la plaine mieux qu’un soc de charrue. — Cela semble lourd et maladroit ; c’est froid, muet, tranquille : — oui ! fiez-vous-y ; — et qu’on dise un mot, la pièce vole sur ses roues, suit le galop de six chevaux vigoureux, se tourne, se baisse, se dresse, plus leste que le fusil d’un voltigeur ; — huit beaux soldats s’empressent à la servir, — elle se laisse faire et manier comme une fille ; — mais qu’on la touche seulement du bout d’une mèche, elle flambe et gueule, la mauvaise ; l’affût recule en sursaut sous le coup, comme l’ennemi.

Eh bien ! le canonnier est ainsi que son canon, calme et posé, bon enfant ; mais quand le feu y prend, c’est le diable.

Tel était Rudon l’artilleur, — un sang-froid, un aplomb incroyables ; — puis, quand la poudre brûlait, Rudon s’allumait aussi vite qu’elle : — une âme, je vous dis, comme