Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
LITTÉRATURE.

« L’eau est bonne… »

Caïus, interrompant. Ah ! de ce stupide Pindare. Oui, tout est bon, l’eau, la terre, et caetera ; mais rien n’est tel que Hiéron, un méchant roitelet de Sicile qui savait à peine tenir en main quatre chevaux. Qu’ils laissent là ces sottises, ou bien, par le père Tibérin, on ne leur donnera que de l’eau à boire, puisqu’elle est bonne.

Hélicon. Mot charmant de mon divin maître !

Caïus, brusquement. Oui, divin, divin ! Tu le dis ici, et tu l’oublies ailleurs. Il faudrait que ces gens-là fussent déjà pénétrés de ma divinité, et remplis d’un saint effroi devant ma face, pour le faire partager aux peuples de la terre. Allons, autre chose. J’écoute. Je veux du grave, du dorien ; on finira par le lydien, pour les voix aiguës ou flûtées qui doivent m’adresser des chants supplians.

On chante en chœur :

« Le Destin est le maître des dieux et des hommes. D’une main de fer il tient la balance où se pèsent les choses de l’univers, et d’une main de plomb il fait pencher l’un des deux bassins au hasard. Dans l’un est une couronne souillée de sang, dans l’autre un poignard caché dans les fleurs : Une cité florissante, immense, et une étincelle sous la cendre. Le Destin est le maître des dieux et des hommes.

» Quelle puissance est à l’abri de ses coups ? Il écrase des peuples comme des fourmis. Ne comptons donc sur rien, et prosternons-nous devant ce bandeau redoutable, qui ne cache ni prudence ni volonté, qui ne couvre pas même des yeux. Le Destin est le maître des dieux et des hommes.

» Qu’y a-t-il donc derrière ce bandeau ? Si c’était une volonté, on pourrait la fléchir ; si c’était la prudence, on pourrait étudier ses calculs. Il y a ce qui décide un coup de dés ou la chute d’un trône, quelque chose au-dessus de la pensée humaine, ou bien rien. Rien ! ce mot fait trembler ! Le Destin est le maître… »