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VICTOR HUGO.

Pour Hugo, il ne s’en est pas guéri seulement, il s’en est puni quelquefois. Ces vrais poètes gagnèrent aux réunions intimes dont ils étaient l’âme, d’avoir dès lors un public, faux public il est vrai, provisoire du moins, artificiel et par trop complaisant, mais délicat, sensible aux beautés, et frémissant aux moindres touches. L’autre public, le vrai, le définitif, et aussi le plus lent à émouvoir, se dégrossissait durant ce temps, et il en était encore aux quolibets avec nos poètes ; ou qui, mieux est, à ne pas même les connaître de nom, que déjà ceux-ci avaient une gloire. Ils durent à cette gloire précoce et restreinte de prendre patience, d’avoir foi et de poursuivre. Cependant Hugo, par son humeur active et militante, par son peu de penchant à la rêverie sentimentale, par son amour presque sensuel de la matière, et des formes, et des couleurs, par ses violens instincts dramatiques et son besoin de la foule, par son intelligence complète du moyen âge, même laid et grotesque, et les conquêtes infatigables qu’il méditait sur le présent, par tous les bords enfin et dans tous les sens, dépassait et devait bientôt briser le cadre étroit, l’étouffant huis-clos, où les autres jouaient à l’aise, et dans lequel, sous forme de sylphe ou de gnome, il s’était fait tenir un moment. Aussi les marques qu’il en contracta sont légères, et se discernent à peine ; ses premières ballades se ressentent un peu de l’atmosphère où elles naquirent ; il y a trop sacrifié au joli ; il s’y est trop détourné à la périphrase ; plus tard, en dépouillant brusquement cette manière, il lui est arrivé, par une contradiction bien concevable, d’attacher une vertu excessive au mot propre, et de pousser quelquefois les représailles jusqu’à prodiguer le mot cru. À part ces inconvéniens passagers, l’influence de la période de la Muse n’entra point dans son œuvre ; ces sucreries expirèrent à l’écorce contre la verdeur et la sève du jeune fruit croissant. Et puis la dissolution de la coterie arrive assez vite par l’effet d’un contrecoup politique. La chute de M. de Chateaubriand mit la désunion dans les rangs royalistes, et une bouffée perdue de cet orage emporta en