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VICTOR HUGO.

Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées,
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur
Dans le coin d’un roman ironique et railleur ;
Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie,
Si j’entrechoque aux yeux d’une foule choisie
D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle, et parlant au peuple avec ma voix ;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume,
Jette le vers d’airain, qui bouillonne et qui fume,
Dans le rhythme profond, moule mystérieux,
D’où sort la Strophe, ouvrant ses ailes dans les cieux ;
C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le dieu que j’adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore !

D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d’où je viens si j’ignore où je vais.
L’orage des partis, avec son vent de flamme,
Sans en altérer l’onde a remué mon âme.
Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur
Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur !

Après avoir chanté, j’écoute et je contemple,
À l’Empereur tombé dressant dans l’ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le Roi pour ses malheurs ;
Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine
Mon père vieux soldat, ma mère Vendéenne !

Telle est la pièce inédite qui doit servir de préface au prochain recueil lyrique de M. Victor Hugo. Composée il y a un peu plus d’un an, le 23 juin 1830, et empreinte en quelques endroits du cachet de cette date, elle se retrouve,