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ÎLE DES AMIS.

Dentrecasteaux, et nous nous vîmes bientôt engagés dans cette passe, entre le rivage où la mer brisait à grand bruit, et une longue bande de récifs qui nous prolongeait sur la droite. Nous goûtions ce charme inexprimable d’une navigation rapide sur des flots unis, tandis qu’une jolie brise se jouait dans nos voiles les plus hautes. Peu à peu cependant notre vitesse diminua, les voiles vinrent à battre sur la mâture, et un calme plat laissa notre navire à la merci d’un courant qui nous rapprochait des récifs.

Nul moyen de laisser tomber une ancre. Les énormes coraux qui surgissent du sein de ces mers construisent rarement leurs masses en pentes adoucies. Leurs murailles s’élèvent perpendiculairement du fond des eaux, et n’offrent aux navigateurs que des lames acérées pour briser les navires, et un abîme sans fond pour les engloutir.

Le courant nous emportait toujours. Du haut des mâts, les vigies apercevaient le banc de corail avec ses mille couleurs qui brillaient sous les eaux ; nous approchions lentement, mais avec une force irrésistible. Tout à coup le navire touche sur l’écueil, et un choc violent ébranle toute sa masse, l’avant était soulevé par les coraux, tandis que l’arrière flottait encore en roulant sur une eau profonde. Point d’avarie, point d’eau dans le bâtiment ; sa proue, en heurtant les coraux, en avait brisé la surface, et son excellent doublage avait heureusement résisté au premier choc.

Peu d’heures après, la perte du navire paraissait inévitable. Le vent du large, qui s’était élevé, soufflait avec force ; la mer s’était grossie, et la corvette inclinée sur les rochers semblait à chaque instant devoir céder aux efforts réunis des élémens.