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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

tion française ce qu’en religion Luther est à Calvin. La première est encore à demi attachée à l’ère religieuse. C’est son caractère que ce mélange et cette lutte de foi mystique et d’anarchie sociale : la Bible suspendue aux arçons de Cromwell, tous ces groupes d’anabaptistes, de quakers, de puritains, mêlés dans une lumière douteuse ; et l’Homme-Dieu suspendu sur ce bruit, sur ce sang, sur ces trois royaumes ardens dans leur fournaise, sur ce pandemonium qu’il contient, et clôt encore de la pierre de son sépulcre. La révolution française achève de briser ce qui a commencé de se délier en Angleterre. Sa loi, sa loi terrible est de dire adieu au monde religieux. On le lui a reproché, et c’est en effet sa mission prochaine ; car il est des temps où il faut que l’homme marche seul et montre ce qu’il sait faire sans Dieu. C’est lorsque Dieu lui a tracé sa tâche dans la nuit des époques sacerdotales, et la lui laisse aveuglément accomplir au grand jour des époques civiles. Quand les races arrivaient par des chemins inconnus ; quand pas une d’elles ne savait où elle allait, ni où il fallait se reposer ; quand les cathédrales peu à peu s’organisaient et cherchaient elles-mêmes le type où s’arrêter ; quand un univers nouveau, étonné de lui-même, s’interrogeait sur sa mission : alors l’Éternel était là, sous la forme du Christ, pour dire aux peuples : « Arrêtez-vous sur ces rivages ; » aux porches des cathédrales : « Courbez-vous en forêts de granit ; » aux colonnes : « Amincissez vos fûts plus frêles qu’un fuseau dans la main d’une vierge ; » à l’univers entier : « Formez de grands empires pour donner de l’ouvrage aux siècles qui suivront. » Mais aujourd’hui, où est l’ouvrier qui ne connaît sa tâche ? où sont les rois qui ont besoin d’apprendre le chemin de l’abîme et ce qu’il faut d’heures pour y descendre ? quel peuple