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LES ALBANAIS EN ITALIE.

arbre, sous lequel pleurait la pauvre mère ; il secoua ses plumes, et la lettre tomba à ses pieds.

» Elle la prit et y lut ces mots : « Mère, je reviendrai à vous lorsque vous coudrez une chemise avec vos cheveux, et la laverez avec vos larmes ; quand la mer deviendra un jardin de fleurs, quand le sureau portera des figues et le noyer du raisin. »

Le baron ***, à qui j’étais recommandé à Santa-Sofia, était absent, et ne devait rentrer que le soir. Comme la lettre était ouverte, sa femme la lut, car elle sait lire ; il fallait que sa curiosité fût bien vivement piquée pour oser lire une lettre à l’adresse de son mari, même ouverte. Or, la bonne dame, qui de sa vie n’avait vu de voyageur, prit le mot raccommandazione dans un sens tout-à-fait charitable, et se trouva dans un fort grand embarras, car, quoique ma toilette de voyage ne fût pas brillante, je n’avais pas cependant l’air d’un mendiant.

Elle hésita long-temps, et telle est la naïveté des mœurs, que, dans la simplicité de son âme, elle crut ne pouvoir mieux répondre à la recommandation de l’ami de son mari qu’en me mettant dans la main une large aumône. Toutes ses idées furent bouleversées quand je lui dis en riant que je venais quêter, non de l’argent, mais des chansons. Elle se persuada alors que je faisais un voyage de pénitence, car vient-on en Calabre pour des chansons ?

Plusieurs maisons s’étaient ouvertes pour moi, et on se disputait l’honneur de traiter l’étranger. Le syndic (maire) se montra des plus hospitaliers ; il est neveu du savant philologue Baffa, qui mourut en 1799, pendant les saturnales de la royauté, qui conduisirent à l’échafaud Pagano, Cirillo, Éléonore Fonseca, le vénérable amiral Caraccioli, et