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VOYAGES.

Trois siècles plus tard, les Parginotes, vendus par la cupidité anglaise à un barbare plus cruel que Bajazet, errèrent en pleurs sur ces mêmes parages, mendiant de rive en rive un asile à l’étranger. L’histoire n’a rien de plus pathétique que ces catastrophes nationales.

Les nouveau-venus durent enfin plier leur humeur oisive et belliqueuse aux habitudes de la vie champêtre. Mais le soldat perçait sous le laboureur, et l’on reconnaissait toujours dans la main qui guidait le soc, la main qui avait brandi l’épée.

Ceux à qui étaient échues les côtes de l’Adriatique, voyaient bleuir à l’horizon ces monts d’Albanie, où naguère se déployaient leurs tentes victorieuses, où ils se reposaient des combats aux rayons du soleil natal. Désormais sans patrie, ils songeaient avec larmes aux jours du triomphe ; ils saluaient du regard les cimes paternelles, et tristement penchés sur cette charrue qu’ils avaient tant méprisée, ils chantaient les ballades nationales, seul monument des gloires passées, seul héritage des ancêtres.

Les Grecs de Calabre, c’est ainsi qu’on appelle les Italo-Albanais, ont une mauvaise réputation chez leurs voisins, et ne la méritent pas ; résignés depuis longues années au travail comme à une nécessité, relégués sur des monts ingrats, ils ont défriché de vastes bruyères, et porté la vie où régnait la mort. Isolés par leur situation, par leur culte, par leurs mœurs, ils ont conservé au milieu des Italiens une existence distincte. Quatre siècles n’ont pu effacer le cachet national.

Leur langue, ils l’ont gardée intacte ; il a dû nécessairement s’y glisser des italianismes. Une nouvelle existence, de nouveaux rapports exigent des mots nouveaux ; mais ils s’entendent à merveille avec leurs com-