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se choquent dans l’air, et qu’ils éclatent ! Voyez l’explosion ! ne sera-t-elle pas terrible ? Ce duel peut-il être trop prolongé ? Un de ces hommes restera certainement sur le terrain ; ils y resteront tous deux. Cette scène est effrayante. Elle est admirable d’exécution, admirable de position. À la rencontre de Borgia et de Concini, j’ai vu quelqu’un frémir sur sa place, et battre des mains avant qu’ils eussent dit un mot. Son voisin s’en étonnait ; celui-ci avait tort : c’était une devination d’artiste. Ce choc de deux hommes tels qu’on connaît Borgia et Concini ; ce choc au cinquième acte, quand tout doit se consommer, était à lui seul une scène : on pressentait ce qu’il en allait sortir. Aujourd’hui ce duel est connu.

Nous nous figurons, dans une tragédie du bon temps, la maréchale survenant après le duel, son mari mort d’un côté, son amant de l’autre. Que faire ? la brûler sur le théâtre ? Non, et avec raison : la maréchale tire un poignard qu’elle porte toujours sur elle, et tombe entre ses deux amans, partagée, dans son hoquet tragique, entre les deux sentimens qui l’animent encore : de Luynes reçoit ses imprécations. — Et vraiment il était difficile de porter plus loin la terreur. Aussi la scène qui suit mériterait-elle toutes sortes d’éloges, lors même qu’elle ne serait pas d’une invention digne de Shakespeare : c’est quand la maréchale, retrouvant ses petits enfans, les embrassant avec larmes, et conduite par le plus âgé sur le corps du maréchal, découvre ce qui vient de se passer ; qu’ensuite, un flambeau à la main, elle va voir une dernière fois Borgia, et appeler doucement Micaël ; — dans ce terrible moment, disons-nous, elle prend son fils entre ses bras, et, inclinée vers lui, tout bas, à l’oreille : — Regardez bien cet homme derrière vous… celui qui est seul… Non… Tournez la tête doucement, afin que l’on ne vous voie pas… Cet homme s’appelle de Luynes. Vous allez me suivre au bûcher, et vous vous souviendrez de ce que vous aurez vu, pour nous venger tous sur lui seul. Dites oui fermement sur le corps de votre père… Touchez sa tête, et dites : Oui. — L’enfant : Oui, madame.