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LE BONNET DU MAÎTRE LA JOIE.

— Va donc dans le même tombeau que ton maître le Croque-Mort ! et que le bon Dieu nous laisse en repos, car nous n’avons plus rien à ce matelot de l’enfer.

Et le coffre fut lancé par-dessus le bord, aux acclamations de tout l’équipage, persuadé que la tempête cesserait quand il n’y aurait plus rien à bord qui eût appartenu au pauvre La Joie

Au contraire, la tempête redoubla de violence. J’entendis une horrible explosion ; c’était notre grand’voile que le vent venait d’emporter, d’emporter si rapidement, que je ne vis qu’un point blanc tourbillonner et disparaître en une seconde.

— Malédiction… enfer !… criai-je… Dieu est juste !…

— C’est qu’il y a encore ici quelque chose au Croque-Mort, dit l’imperturbable voilier. Mousse, descends et cherche, et gare à ta peau si tu ne trouves rien…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cinq minutes après, le mousse remonta avec un vieux, vieux bonnet de laine rouge, oublié dans un coin de la chambre de La Joie

Allons, dit le voilier en le jetant à la mer… allons, on n’a plus rien à lui… Tais-toi, et fais calme

Un hasard… (était-ce un hasard ?) voulut que les deux ou trois dernières raffales qui nous avaient si durement drossés furent, comme on dit, la queue du grain… Le vent tomba, le ciel s’éclaircit, la brise souffla légère, et la mer calmit… Depuis ce moment, notre traversée fut heureuse, fut la plus heureuse que j’aie faite, et nous arrivâmes à Buénos-Ayres le 1er janvier.


Eugène Sue.

N. B. Le lecteur m’excusera de ne pas lui dévoiler le mystère ou la fatalité qui semble se rattacher au mot mère et au nombre treize ; mais ne l’ayant jamais su moi-même, je n’ai rien voulu ajouter qui pût dénaturer un fait vrai.