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SCÈNES DU DÉSERT.

restez ici. Moi, qui suis plus exposé, j’y veux rester aussi ; mais souvenez-vous que je vous ai averti.

— Et d’ailleurs, poursuivit avec la même vivacité le bon missionnaire, il se passera bien du temps sans doute avant que vos craintes se réalisent, et d’ici là la mission aura gagné et aura pris une attitude plus respectable ; nous aurons jeté des racines plus profondes par la protection de Mourad-bey, que je regarderai toujours comme moins éloigné du royaume de Dieu que les autres beys des Mamelouks. Mourad-bey, je vous l’ai dit, m’a promis solennellement et avec serment qu’il me permettrait d’avoir une cloche.

Et voyant un léger sourire sur les lèvres habituellement sérieuses de l’interprète :

— Vous riez, mais vous ne savez pas de quelle importance est une cloche dans une mission ; ce fut toujours le désir le plus ardent qu’il y eut dans le cœur du P. Félix et dans le mien. Si nous avons une fois la cloche, nous pourrons appeler de loin notre petit troupeau, et je pourrai, sans mentir, nommer église ce qui ne serait qu’un débris de temple jusque là ; une fois cette cloche suspendue, et il me sera facile de le faire, pourvu que Mourad tienne sa promesse, une fois que la cloche aura retenti depuis El-Acâlteh jusqu’à Med-Amoud[1], qui doutera que la Sublime-Porte ne permette et ne protége ouvertement notre culte, comme en Syrie celui des Maronites, qui n’est autre chose que le culte catholique romain ? Cette opinion établie, les tièdes seront réchauffés dans leur foi ; vous verrez les ouailles accourir de tous les côtés, et la tribu des Beni-Ouassel pourra peut-être se joindre à celle des Ababdéhs ; dès que mon troupeau se sera accru à ce point, on n’osera pas refuser aux cheiks de ces tribus la permission de construire ici, où je suis, un petit autel, et vous qui savez tout et qui êtes, je crois, catholique romain, vous m’aiderez à orner le temple du Seigneur. Il ne serait pas impossible qu’il nous vînt des vases

  1. Villages aux deux extrémités de l’emplacement de Thèbes.