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GEORGE FARCY.

c’est de là que j’ai adressé mes derniers adieux à mes amis de France. J’ai encore éprouvé une fois combien les émotions, dans ce qu’on appelle les occasions solennelles, sont rares pour moi ; à moins que ce ne soient pas là mes occasions solennelles. J’ai quitté l’Angleterre pour l’Amérique, avec autant d’indifférence que si je faisais mon premier pas pour une promenade d’un mille : il en a été de même de la France ; mais il n’en a pas été de même de l’Italie : c’est là que j’ai joui pour la première fois de mon indépendance ; c’est là que j’ai été le plus puissant de corps et d’esprit. Et cependant que j’y ai mal employé de temps et de forces ! Ai-je mérité ma liberté ? — Quand je pense que je n’avais déjà que des réminiscences d’enthousiasme, que je regrettais la vivacité et la fraîcheur de mes sensations et de mes pensées d’autrefois ! Était-ce seulement que les enfans s’amusent de tout, et que j’étais devenu plus sévère avec moi-même ? — Mais la pureté d’âme, mais les croyances encore naïves, mais les rêves qui embrassent tout, parce qu’ils ne reposent sur rien ; c’en était déjà fait pour moi. Je ne voyais qu’un présent dont il fallait jouir, et jouir seul, parce que je n’avais ni richesses, ni bonheur à faire partager à personne ; parce que l’avenir ne m’offrait que des jouissances déjà usées avec des moyens plus restreints ; et ne pas croître dans la vie, c’est déchoir. — Et cependant du moins tout ce que je voyais alors agissait sur moi pour me ranimer ; tout me faisait fête dans la nature ; c’était vraiment un concert de la terre, des cieux, de la mer, des forêts et des hommes ; c’était une harmonie ineffable qui me pénétrait, que je méditais et que je respirais à loisir ; et quand je croyais y avoir dignement mêlé ma voix à mon tour, par un travail et par un succès égal à mes forces et au ton du chœur qui m’environnait, j’étais heureux, — oui, j’étais heureux, quoique seul ; heureux par la nature et avec Dieu. Et j’ai pu être assez faible pour livrer plus de la moitié de ce temps aux autres, pour ne pas m’établir définitivement dans cette félicité. La peur de quelque dé-