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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

Le premier de ces ouvrages est un dialogue : un vieillard et un jeune homme, examinant ensemble l’état de la grande société européenne, se rendent mutuellement compte de leurs impressions. Le jeune homme ne peut comprendre cette société, si différente de celles où par l’étude il a vécu d’une factice et précoce expérience ; il regrette les hiérarchies sociales brisées, il s’indigne de voir la religion bannie de l’ordre social, son nom même effacé du préambule des lois ; il s’éloigne de cette société de toutes les puissances de son âme, s’exile de son siècle pour se réfugier dans le passé ; comme Caton, il se déclare pour le vaincu. Mais le vieillard lui fait apercevoir comment l’état de choses qui le révolte se rattache par mille liens à celui qu’il poursuit de ses vains regrets ; il lui dévoile, de la marche irrésistible et providentielle des sociétés humaines, ce que sa longue expérience lui a permis d’en saisir. Il le ramène ainsi doucement vers le siècle qui l’effrayait ; car, par un gracieux renversement d’idées, c’est sous les cheveux blancs que se sont abritées l’intelligence du présent et les riches espérances d’avenir.

Dans l’homme sans nom, M. Ballanche, reproduisant quelques-unes de ses doctrines sur la légitimité historique de certaines institutions sociales, les fit servir au développement d’une situation traitée sous mille formes, mais au fond de laquelle réside un inépuisable intérêt : c’est celle d’un homme dont la vie doit s’écouler en désaccord avec ses opinions et ses sentimens, d’un homme condamné à son propre tribunal par la loi morale, qu’il lit éclatante de vérité dans sa propre conscience ; condamnation terrible, qu’aucun tribunal sur la terre, que Dieu lui-même ne saurait remettre.

L’homme sans nom est un régicide, mais un régicide