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FORMULE GÉNÉRALE DE L’HISTOIRE.

Mais voulant déjà nous faire pressentir un des traits caractéristiques de la civilisation grecque, M. Ballanche nous montre Orphée s’adressant simultanément à toutes les intelligences, n’assujétissant pas les peuples à la lente initiation des castes, croyant pouvoir épargner à l’humanité la peine de se faire elle-même, et suppléer par l’élan spontané au lent travail du perfectionnement.

En Samothrace, aux hymnes d’espérance d’Orphée, célébrant l’ère nouvelle qui s’ouvre pour le monde, se mêlent les accens funèbres d’une sibylle des anciens âges. Les sibylles, suivant M. Ballanche, étaient l’expression individualisée d’un peuple ou même d’un cycle social ; elles avaient la vue du passé et de l’avenir ; mais seulement à demi-réalisées, sans existence personnelle, elles devaient vivre et mourir avec le peuple ou le cycle qu’elles exprimaient. Aussi, dès l’arrivée d’Orphée, celle-ci a-t-elle senti ses facultés s’affaiblir : son œil troublé ne peut plus percer les ténèbres de l’avenir qui s’avance ; elle interroge Orphée sur cet avenir avec anxiété, et dans de ravissantes paroles. Elle voudrait y accompagner encore d’un long regard la race infortunée des hommes ; car de nobles sympathies sont en elle, et, prêtresse des cultes primitifs, si elle a supplié par le sang, c’est qu’elle croyait les hommes sous le coup d’un antique anathème, et craignait qu’un dieu irrité, s’en prenant à l’espèce entière de la faible rançon qui lui était refusée, ne s’en fît de ses propres mains un immense holocauste. Mais elle interroge vainement : c’est Orphée, c’est le nouveau cycle social qui la tue.

Cependant Eurydice, pensée fécondatrice des grandes pensées d’Orphée, apparition merveilleuse qui a enchanté un moment son imagination, reste pour lui la vision de l’épouse ; elle meurt l’épouse-vierge.