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VOYAGES.

voir brûler leurs propriétés. Le reste fut égorgé dans les bois par les soldats mis à leur poursuite.

Le 10 septembre fut le jour fixé pour l’embarquement. Dès le point du jour, les tambours résonnèrent dans les villages, et à huit heures, le triste son de la cloche avertit les pauvres Français que le moment de quitter leur terre natale était arrivé. Les soldats entrèrent dans les maisons, et en firent sortir tous les habitans qu’on rassembla sur la place. Jusque-là, chaque famille était restée réunie, et une tristesse silencieuse régnait parmi le peuple. Mais, quand le tambour annonça l’heure de l’embarquement, quand il fallut abandonner pour toujours la terre où ils étaient nés, se séparer de leurs mères, de leurs parens, de leurs amis, sans espoir de se revoir jamais ; emmenés par des étrangers, leurs ennemis ; dispersés parmi eux, dont ils différaient par le langage, les coutumes, la religion, alors accablés par le sentiment de leurs misères, ils fondirent en larmes, et se précipitèrent dans les bras les uns des autres, dans un long et dernier embrassement. Mais le tambour battait toujours, et on les poussa vers les bâtimens stationnés dans la rivière. Deux cent soixante jeunes gens furent désignés d’abord pour être embarqués sur le premier bâtiment ; mais ils s’y refusèrent, déclarant qu’ils n’abandonneraient pas leurs parens, et qu’ils ne partiraient qu’au milieu de leurs familles. Leur demande fut rejetée, les soldats croisèrent la bayonnette et marchèrent sur eux. Ceux qui voulurent résister furent blessés, et tous furent obligés de se soumettre à cette horrible tyrannie.

Depuis l’église jusqu’au lieu de l’embarquement, la route était bordée d’enfans, de femmes, qui, à genoux, au milieu de pleurs et de sanglots, bénissaient ceux qui