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UNE DÉBAUCHE.

convives d’avoir une intuition vague de cette féerie digne d’un conte oriental.

Les vins de dessert apportèrent leurs parfums et leurs flammes, philtres puissans, vapeurs enchanteresses, qui engendrent une espèce de mirage intellectuel, et dont les liens puissans enchaînent les pieds, alourdissent les mains…

Les pyramides de fruits furent pillées, les voix grossirent, le tumulte grandit. Alors il n’y eut plus de paroles distinctes. Les verres volaient en éclats, et des rires atroces partaient comme des fusées.

Un vaudevilliste saisit un cor, et se mit à sonner une fanfare. Ce fut comme un signal donné par le diable. Cette assemblée en délire hurla, siffla, chanta, cria, rugit, gronda.

Vous eussiez souri de voir les gens naturellement gais devenir sombres comme les dénouemens de Crébillon, ou rêveurs comme des marins en voiture. Les hommes fins disaient leurs secrets à des curieux, qui n’écoutaient pas. Les mélancoliques souriaient comme des danseuses qui achèvent leurs pirouettes. Un journaliste se dandinait à la manière des ours en cage… Des amis intimes se battaient. Les ressemblances animales inscrites sur les figures humaines et si curieusement démontrées par les physiologistes, reparaissaient vaguement dans les gestes, dans les habitudes du corps… Il y avait un livre tout fait pour quelque Bichat qui se serait trouvé là, froid et à jeun.

Le maître du logis, se sentant ivre et n’osant se lever, approuvait les extravagances de ses convives par une grimace fixe, et tâchait de conserver un air décent et hospitalier. Sa large figure, devenue rouge et bleue, presque violacée, terrible à voir, s’associait au mouvement général par des efforts semblables au roulis et au tangage d’un brick.

— Les avez-vous assassinés ?… lui demanda Émile.

— La confiscation et la peine de mort sont abolies, répondit le banquier.