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LITTÉRATURE.

Ôtez les limites qui séparent chaque chose, et le monde s’en retournera au chaos. La fin du monde ne sera sans doute que la confusion de toutes les choses créées ; il n’y aura plus rien quand il n’y aura plus de spécialité.

Les sociétés humaines se sont organisées et taillées à l’instar et, pour ainsi dire, sur le patron de la nature, comme Dieu a fait l’homme à son image. Des choses de la religion aux choses de banque, de la justice à la police, des beaux-arts aux arts mécaniques, tout a été classé dans un ordre régulier, et renfermé dans des bornes dont une seule ne peut être franchie sans que l’existence ou la beauté de la société entière soit compromise. Chaque pierre de l’édifice social, quelque infime ou quelque grossière qu’elle paraisse, est nécessaire et harmonique où elle est : déplacez ou brouillez les pierres, adieu les proportions et la solidité ; et si c’est une colonne fondamentale à laquelle vous touchiez, adieu l’édifice lui-même. Gardons-nous donc de mêler la religion à la politique, les lois aux passions, la littérature au commerce, l’imagination à la matière : quand on en vient là, il y a perturbation générale, subversion sociale ; les empires s’abîment et se noient, comme la terre, au temps du déluge, lorsque l’océan roula sur les montagnes, et que les carpes se couchèrent dans le nid des colombes !…

Quand les païens, gens qui ont tout découvert et tout connu, excepté le vrai Dieu, imaginèrent de personnifier dans autant de divinités chaque vertu, chaque passion, chaque vice, chaque faculté de l’esprit, chaque force de la nature, ils montrèrent avec quelle intelligence exquise ils avaient compris et senti les causes, les moyens et le but de la création. Leur brillante religion était la traduction du monde physique et moral en poétiques symboles. En affectant à chaque dieu, déesse, nymphe ou démon, une puissance et des attributions distinctes, ils ont rendu un éclatant hommage au principe de la spécialité. Ils avaient des divinités supérieures et des divinités inférieures ; mais chacune d’elles régnait indépendante des autres dans le cercle qui lui avait