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SCÈNES DU DÉSERT.

sur ce jeune homme, dont la main était rouge comme celle d’un boucher. Il ne put s’empêcher de sourire ironiquement en regardant le missionnaire, qui se hâta de dire :

— Ne soyez pas étonné de cela ; malheureusement ce sont là les mœurs du pays, et d’ailleurs, je crois que Richesses-de-Dieu n’a tué qu’un Mamelouk, mais je vous jure que ce jeune homme est d’un naturel très-bon.

— Il n’a pas eu grand’peine à venir à bout de son ennemi, reprit l’interprète, faisant rouler cette tête avec le pied, car c’est ce pauvre diable auquel nous avons donné à boire. Mais ils ont leur honneur qui ne ressemble pas au nôtre.

Cependant l’assertion du père ne paraissait pas dénuée de vraisemblance, car le jeune Arabe descendit lestement de cheval, dit quelques mots à son père d’une voix très-douce, et s’en alla tranquillement attacher son cheval et puiser de l’eau dans le grand fleuve, avec la simplicité et la docilité d’une jeune fille.

La nouvelle qu’il donnait si paisiblement et qui était reçue de même par la famille, agita beaucoup plus les deux Européens.

— Avez-vous entendu ? dit le missionnaire inquiet.

— J’ai entendu très-clairement, répondit son compagnon, que l’on a jeté de la poussière des minarets, mais je ne comprends pas très-bien ce que cela veut dire.

— Qu’il y a un grand danger pour tout le pays ; les Égyptiens s’avertissent ainsi de village en village depuis des siècles,

— Allons ! Je ne l’attendais pas sitôt ! Je vais continuer mon rôle ; mais il sort un peu de la comédie pour tourner à la tragédie, mon père.

En disant cela, il s’éloigna seul et se mit à marcher à grands pas dans le sable, avec la détermination d’un homme qui sait bien où il va.