Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
SOUVENIRS DE GRÈCE.

les antiques sommets de sa ville bien-aimée, de Corinthe, fille d’Apollon ; à chaque seconde, ses reflets magiques, variant de direction et d’intensité, se brisent sur les montagnes de l’isthme qu’ils teignent des couleurs de l’iode et du rubis, et traversant les nuages d’une vapeur colorée des teintes mobiles du prisme, inondent la Corinthie et le golfe Saronique d’un torrent de lumière que réfléchit de toutes parts l’éclat de ces brillans rivages[1].

Le disque d’or découronné a disparu majestueusement derrière son rocher de Delphes ; au rapide crépuscule succède une ombre épaisse qui ne nous permet plus d’apercevoir la terre ; il faut convertir notre voile en tente, car déjà la rosée de mai, si pénétrante dans les contrées méridionales, a trempé nos vêtemens. Les lourds efforts de nos rameurs, en faisant jaillir une lueur phosphorique de la mer qu’ils sillonnent, nous rapprochent lentement des côtes. Vers dix heures, nous reconnaissons, à la clarté des étoiles, les restes d’une digue antique ; c’est celle qui, partant des promontoires d’Aetion et d’Alcime, fermait le Pyrée, et portait les deux énormes lions qui ornent aujourd’hui l’entrée de l’arsenal de Venise. Nous atteignons enfin l’extrémité du port ; mais dans cet ancien entrepôt du commerce de la Méditerranée, sur ce point où tant de nations diverses venaient alimenter en foule par leurs tributs le luxe d’Athènes, pas un bâtiment, pas un matelot, pas même le cri d’une sentinelle, partout régnaient la solitude et le silence le plus profond.

À peine les premières lueurs de l’aube commen-

  1. Voir sur ce singulier effet le voyage de Grèce par M. Lebrun, page 181, note.