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ESSAIS DE PALINGÉNÉSIE SOCIALE.

tude, n’osent, ni les uns ni les autres, exécuter l’ordre donné par le signe du juge.

Le religieux silence, légèrement interrompu, plane plus imposant sur l’assemblée immobile.

« Ta mort, reprend le père, saisi d’un enthousiasme divin ; ta mort, ô ma fille ! ne t’affranchira pas seule, elle brisera la barrière qui nous sépare de l’humanité. »

Cette soudaine illumination de l’avenir, fruit mystérieux de l’épreuve, passa aussitôt du soldat à la douce victime.

« Eh bien ! dit la jeune fille, j’accepte la mort. »

« Courage, vierge magnanime ! » s’écrie le vaillant soldat, devenu néophyte et prêtre, et qui ne mesure plus sa voix ; « courage, ô ma fille ! chante les paroles prophétiques ! »

Le juge fait de nouveau le signe terrible. Les licteurs sont de nouveau écartés. Cependant nul n’a pu entendre l’entretien du père et de la fille. Une attente indéfinissable a saisi, et le juge assis sur son tribunal, et les gardes et les licteurs, et les jeunes patriciens armés, et la multitude pressée autour du lieu où s’accomplit avec un calme si formidable une grande transformation sociale.

Le père, se tournant du côté du juge, et élevant vers lui une de ses mains, pendant que l’autre soutient toujours sa fille, annonce qu’il veut parler. Son visage est revêtu d’une expression terrible qui fait pâlir le juge sur son tribunal. « Décemvir, dit-il, nous sommes au bout ! Nous sommes au bout, toi, de ta patience ; nous, de notre résignation ! Illustre patricien, plus qu’un instant ! Ne refuse pas d’entendre le chant de cette fille infortunée ! Son chant d’adieu ne sera pas