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ESSAIS DE PALINGÉNÉSIE SOCIALE.

au pied du tribunal du décemvir, je dois être occupé d’autres soins. »

Appius Claudius dit : « Oui, Cornélius disposera de toi, sans doute comme Fabius a disposé de l’indiscipliné Siccius. Quant à la cause qui se débat devant moi, ne sais-tu pas, insolent centurion, que tu es sans droit en présence de celui qui les a tous ? Ne sais-tu pas que ton patron seul est le père légal de cette jeune fille, égarée par de perfides maximes d’indépendance ? Il est temps d’apprendre aux cliens les devoirs qu’ils sont trop portés à oublier. Retire-toi, ta présence est inutile à Rome. Va plutôt réparer ta faute et implorer la clémence de Cornélius. Moi-même je te donnerai une sauve-garde. »

Le centurion demande à avoir, avant de se retirer, un entretien avec la jeune fille.

La multitude n’attend pas la réponse du magistrat. Elle se range spontanément autour du centurion et de sa fille, pour ne pas troubler leur entretien. Le juge, de plus en plus étonné, reste immobile sur son siége. Le silence le plus profond règne dans l’assemblée. On n’entend d’abord que les sanglots du vaillant soldat et de la timide jeune fille.

Enfin le centurion lui parle à voix basse : « Dis-moi, ma fille, si l’on m’a fait un récit fidèle, c’est pour être allée dans une école que tu as allumé le courroux du décemvir. Mais ta beauté n’a-t-elle pas aussi attiré ses regards ? »

« Mon père, répond-elle en rougissant, je ne puis le croire, car il prétend que j’appartiens à une race sans culte et sans dieux.»

« N’importe, dit le père, et ils savent bien descendre à déshonorer les femmes et les filles nées d’une