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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

ture ; chose insuffisante, puisque lui-même n’a pu te revêtir d’un nom. Mais voici le père que t’ont donné les saintes lois de Rome ; c’est lui qui t’a nommée. Non, ce n’est pas un crime d’apprendre à louer les dieux immortels ; toutefois, il faut bien que tu le saches, tu appartiens à une race sans culte et sans dieux, car elle est inhabile à toute religion qui lui soit propre. »

À ces mots un long murmure éclate comme un orage lointain.

Le décemvir, pour étouffer le murmure, s’écrie en s’adressant à tous : « Ceci n’est-il pas la vérité même ? Les patriciens ont-ils jamais accordé aux plébéiens la participation à la chose sacrée ? Dès-lors les plébéiens en sont privés, puisqu’ils ne peuvent l’avoir par leur propre vertu. »

La jeune fille avait mis sa tête dans ses mains, pour cacher ses larmes : « Race sans culte et sans dieux ! » disait-elle à voix basse. « Fils et filles sans pères ! » ajoutait-elle, toujours à voix basse. « Est-ce ainsi qu’est la condition plébéienne dans sa cruelle réalité ? Et cependant ne sais-je pas admirer et aimer ? Il y a là un terrible mystère ! » disait-elle encore.

Pendant qu’elle restait muette devant le juge, lui demeurait immobile, gardant un farouche silence, et promenant de funestes regards sur l’assemblée.

Enfin la jeune fille prend quelque courage, et les joues colorées d’une vive rougeur, elle dit : « Je supplie le juge de permettre que mon père vienne me défendre. S’il croit que j’aie trop voulu m’élever, j’obéirai à ses ordres. Non, je ne veux pas m’élever au-dessus de la triste condition de mon père, plébéien et soldat vaillant ! »