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VOYAGES.

primauté, fondée sur d’obscures traditions, les Allemands ont voulu aussi être représentés par Martin Behem, prétendu découvreur du Brésil, du détroit de Magellan et des Patagons, les Vénitiens par un de leurs compatriotes, et les Arabes pourraient l’être à égal titre par les frères Almagrurim, avant le milieu du xiie siècle. Il semble aussi que la nature elle-même ait voulu conspirer contre Colomb par des illusions atmosphériques, sources des fables répandues sur les îles d’Antilla, de Saint-Brandon et des sept Cités, qui remplacèrent sur les anciennes cartes cette main noire, cette terre de la main de Satan qui devrait glacer d’effroi par son nom cabalistique les marins aventurés sur l’Océan. Enfin, l’Europe, en donnant un nom au nouveau continent, sembla partager l’envie qui s’attache toujours au mérite.

Quoi qu’il en soit des prétentions de quelques peuples rivaux, et des efforts d’imagination d’après lesquels des cartes furent construites, il est certain que la grande découverte de l’Amérique, précédée par le fameux voyage de Marco Polo aux confins de la Chine, devint le fruit d’une immense erreur géographique sur la petitesse de la terre et l’étendue de l’Asie, et de réflexions savantes sur l’antique théorie des Antipodes, l’équilibre des terres, la masse des eaux, la direction des vents, et l’arrivée de productions étrangères sur les rivages des Açores.

Voyons aussi dans ce grand événement une conséquence de l’agitation des esprits excités par l’usage devenu général de la boussole, de l’imprimerie et de la poudre à canon. Les peuples héritiers de la force et de la civilisation n’habitaient plus les bords d’un grand lac, leur imagination développée franchissait toutes les