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ALBUM.

devance Adèle dans une auberge, s’établit dans une chambre à côté de la sienne, et pénètre dans la nuit chez elle. On devine ce qui en résulte.

Le quatrième acte nous transporte chez une amie de la baronne, jeune femme bonne, étourdie et passablement coquette, qui ne parlait que de médecine au second acte au bras d’un jeune médecin, et qui au quatrième ne parle que de littérature. Un jeune auteur est installé chez elle. Il y a là une scène des plus originales dans ce siècle où l’on fait de l’originalité par tous les moyens possibles ; mais la susceptibilité du public exigera sans doute quelques suppressions. La pièce d’Antony s’y compose sur le théâtre. Une discussion littéraire s’engage : on reproche à la nouvelle école de prendre ses pièces dans les chroniques, « où on les trouve toutes faites, dit-on. — Pourquoi ne prenez-vous pas vos drames dans l’époque présente ? dit ironiquement une jeune femme ; n’y trouve-t-on pas aussi des preux chevaliers qui sauvent la vie à leurs maîtresses ? » Et elle conte toute l’histoire d’Adèle et d’Antony. Celui-ci éclate, comme on le pense bien, et, s’approchant de l’auteur : — « Oui, dit-il, faites ce drame, et mettez-y pour accessoire une femme qui change à chaque instant d’amant, mais qui, plus adroite que la femme vertueuse qui a pu succomber une fois, se déshonore et ne se compromet pas. » — Cette situation est des plus dramatiques et renoue parfaitement l’action ; elle amène une scène ravissante que madame Dorval a dite avec un immense talent. Les deux amans sont brusquement interrompus dans leur rêve de bonheur, et Antony apprend bientôt que le mari d’Adèle arrive à Paris. Il court chez elle : — « Il n’y a plus un moment à perdre, dit-il ; partons, fuyons ensemble. » Adèle résiste… elle ne veut pas déshonorer son mari, son enfant ; elle voudrait au prix de tout son sang recouvrer cette réputation qui ne lui appartient pas. Antony insiste pour l’entraîner ; mais il n’est plus temps : le mari, averti par des lettres anonymes, arrive menaçant. Que faire ? — « Tu m’as dit que tu ne craignais pas la mort. — Oh ! non ; tue-moi, Antony ; tue-moi ; » et, autant pour l’arracher au malheur qui l’attend qu’aux étreintes d’un autre, il la poignarde, et au moment où le baron enfonce la porte… — « Elle me résistait, dit-il, je l’ai assassinée. » Belle péripétie qui couronne dignement l’œuvre.

Le nouveau drame de M. Dumas, quelles que soient les basses injures d’un petit critique sans conscience, est un des plus beaux