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LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE.

à l’instar des chantres grecs chez les anciens et des troubadours chez les modernes, célébraient dans les fêtes de la cour les exploits des règnes précédens. Le poème sur la campagne d’Igor est d’autant plus remarquable, que c’est le seul ouvrage en ce genre que les Russes possèdent aujourd’hui. Nos lecteurs classiques, ou romantiques, nous sauront gré sans doute de leur en présenter ici l’analyse.

Igor, prince de Séversky, avide de la gloire des héros, exhorte sa garde à marcher contre les Polovtsi, et lui dit : « Je veux briser ma lance dans leurs déserts les plus reculés ; je veux y laisser mes cendres, ou tremper mon casque dans le Don et me désaltérer dans ses ondes. » De nombreux guerriers se rassemblent ; les coursiers hennissent de l’autre côté de la Soula ; la voix de la gloire se fait entendre dans Kief ; le son des trompettes retentit dans Novgorod, et à Poutivle les étendards flottent au gré des vents. Igor attend Vsiévolod, son frère chéri. Vsiévolod fait le portrait de ses valeureux guerriers. « Ils ont, dit-il, reçu le jour au bruit des clairons, et dans leurs premières années, on leur présentait la nourriture sur le fer d’une lance ; ils connaissent les chemins et tous les précipices ; leurs arcs sont tendus, leurs carquois ouverts, leurs glaives aiguisés ; ils se précipitent dans la campagne comme des loups affamés ; ils veulent couvrir de lauriers leur noble front et celui de leur prince. » Igor met les pieds dans des étriers d’or. Il voit au-devant de lui des ténèbres épaisses ; le ciel le menace de terribles orages ; les bêtes féroces rugissent dans leurs antres ; des troupes d’oiseaux planent au-dessus de l’armée ; les cris des aigles semblent lui présager sa ruine, et les renards glapissent à l’aspect des boucliers étincelans des Russes. Le combat s’engage ; les légions des barbares sont renversées ; leurs vierges tombent au pouvoir des guerriers d’Igor : l’or et les étoffes les plus précieuses deviennent leur proie ; les habits et les ornemens des Polovtsi jonchent les marécages et servent de ponts à l’armée des Russes. Le prince Igor ne garde pour lui qu’un drapeau rouge, enlevé aux ennemis et porté