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VARIÉTÉS.

Dans un tel état de choses, je trouvai quelques distractions dans l’étude de la nature. Je cherchais à surprendre les mœurs des animaux qui peuplaient cette solitude, et que la présence de l’homme n’avait ni troublées ni modifiées. J’observais l’instinct du phoque, à qui cette même nature semble avoir refusé les organes que demande son intelligence manifestée par l’expression de ses yeux. Ce mammifère, qui ressemble au chien, fait pour aller dans l’eau, n’a pour moteur sur la terre que des moignons informes sur lesquels il se traîne et rampe. Je voyais l’attachement du manchot pour ses petits qu’il rassemble auprès de lui, et cherche à défendre. Le soir, en contournant les grèves pour rentrer au camp, je me plaisais à entendre les petits éclats de la mouette rieuse, luttant comme moi, au milieu des brumes, contre le vent, et dans l’éloignement les claquemens du héron bihoreau en sentinelle sur une pointe avancée de rocher.

Il arriva qu’une fois une baleine en se jouant dans la baie vint s’échouer sur le rivage. Elle frappait l’onde de sa queue, et lançait par ses évens des torrens d’eau en vapeur. On envoya un canot pour s’en emparer. Un matelot, renouvelant en quelque sorte une de ces scènes fabuleuses et gigantesques de l’Arioste, monta sur son dos, y fit un grand trou à coups de hache, dans lequel il jeta un grapin. Cette petite ancre à plusieurs becs tenait à une grosse corde fixée à terre. À la marée montante, le monstre, par un léger mouvement de malaise, rompit la corde et gagna le large ; mais, épuisé par ses blessures, il revint bientôt expirer sur le rivage. Des nuées d’oiseaux voraces fondirent dessus, déchiquetèrent sa peau, en firent découler l’huile, qui, se répandant sur la plage, en rendit les alentours glissans et à peine abordables.

Au camp, les journées n’étaient point oisives. Le son de la cloche appelait le matin tout le monde à l’ouvrage. Les uns allaient enlever au navire ce qui était nécessaire pour chercher à en construire un autre ; les autres fortifiaient les