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VARIÉTÉS.

venions de doubler un de ces grands caps, séjour des tempêtes et d’éternels frimas ; nous regardions comme terminé un voyage commencé par l’est, il y avait plus de deux ans et demi, lorsque nous apparurent les côtes verdoyantes des îles Malouines.

Fatigués d’une longue et rude navigation, nous saluâmes avec transport une terre qui nous promettait quelques jours de calme et de repos. Par une belle soirée d’automne, nous cinglions rapidement vers le port, lorsqu’une roche inattendue vint arrêter le navire dans sa course, et entr’ouvrir ses flancs. La secousse fut violente, le danger pressant. L’eau entrait avec force ; nous courûmes aux pompes, qui étaient celles d’un vaisseau de premier rang. Ce fut vainement : il en entrait plus que nous ne pouvions en rejeter. Nous voyions peu à peu notre navire se remplir et s’enfoncer ; tous nos efforts ne faisaient que le maintenir à la surface. Cependant une partie d’entre nous abandonnait quelquefois les pompes pour se porter à la manœuvre, virer de bord, et chercher en louvoyant à gagner le rivage, distant de plusieurs lieues. Un calme presque complet s’unissait à une nuit profonde : on n’entendait d’autre bruit que celui de nos bras tendus sur les leviers, et des tourbillons d’eau s’engouffrant dans la cale de la corvette. Toutefois quelque chose de généreux ressortait de cette position désespérée, et il y avait de l’intérêt à contempler cent vingt Français loin de leur patrie, aux extrémités du monde, luttant en chantant contre leur destruction prochaine ; car si le navire se fût tout à coup englouti, les derniers accens qu’on eût entendus eussent été des cris de joie. Un seul sentiment peut-être contristait en ce moment ces jeunes gens, qui ne craignaient pas la mort ; c’était de voir au milieu d’eux une jeune femme, l’honneur et le modèle de son sexe, exposée à un péril que son amour conjugal lui avait fait affronter. L’intérêt qu’elle inspirait nous porta à laisser un instant le pont pour chercher à la soustraire à la catastrophe qui pouvait subitement arriver, car un impérieux devoir ne permettait à celui naturellement chargé