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VARIÉTÉS.

faut à une âme ardente, altérée de grandes choses, le monde tout entier à parcourir, une nature nouvelle, des terres, des peuplades inconnues, des tempêtes, des périls, des naufrages, et l’aspect subit, instantané de la mort, pour sentir et donner du prix à l’existence.

Mais ce n’est pas tout-à-fait cela que je voulais dire. Je voulais raconter comment, après avoir traversé tout le grand Océan austral, après avoir navigué pendant deux mois entre la Nouvelle-Hollande et l’Amérique, nous arrivâmes sous le cap Horn, l’extrémité de la terre de Feu. Nous abordions ces contrées inhospitalières, l’ancre était jetée, lorsque des rafales subites, nous poussant sur des rochers, forcèrent de couper le câble et de prendre le large en louvoyant dans le détroit de Lemaire. Le temps était sombre et menaçant, des nuages noirs emportés par les vents passaient rapidement sur nos têtes, et fuyaient vers le pôle. Quelques instans suffirent pour amener une des plus effroyables tempêtes que eussions vues. À peine eut-on le temps de serrer les voiles. Celles qu’on crut nécessaires à mieux diriger le navire furent déchirées, enlevées, emportées dans les airs. Une mer peu profonde, soulevée jusque dans ses abîmes, abandonnait aux vents l’écume de ses vagues qui retombaient sur nous en pluie salée. Le vaisseau, ne pouvant plus prêter le côté, fut obligé de fuir sans voiles devant l’ouragan. Quatre hommes à la roue du gouvernail avaient de la peine à le diriger. Des masses d’eau battaient ses flancs, inondaient sa batterie, balayaient son pont, et le faisaient craquer dans toutes ses parties. La nuit était venue. L’équipage à son poste, prêt à agir, n’avait plus qu’à attendre la fin de la tourmente. Ce fut alors qu’on cria terre devant nous ! À ce cri de terreur, précurseur d’une mort inévitable et prompte, le capitaine répondit : « Si c’est vraiment la terre, nous ne pouvons l’éviter ; mais ce ne doit pas être elle. » En effet, c’était un de ces nuages qui la simulent quelquefois, et trompent le navigateur. La tempête dura toute la nuit, et le lendemain les côtes d’Amérique et la terre des États étaient loin derrière nous. Nous