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LITTÉRATURE.

son habile séduction en se mettant toujours en parallèle avec Paul. C’était se faire valoir et perdre celui-ci, qui, plus jeune, il est vrai, ne possédait néanmoins aucune des qualités brillantes de sir Edward.

Pourtant il ne l’aurait peut-être jamais emporté, s’il n’eût fait disparaître toute idée de trahison en exaltant le caractère romanesque de Tréa, en lui colorant l’infidélité par des sentimens généreux.

D’un caractère assez mélancolique, il tira parti de sa tristesse naturelle en laissant entrevoir qu’un chagrin profond le consumait. Son désespoir sombre, et qui pourtant ne proférait jamais de plaintes, inspira à la jeune fille ce tendre intérêt qui ne diffère de l’amour que par une nuance imperceptible, et dont l’effet est d’autant plus sûr, que l’on se tient moins en garde contre lui. Le mystère le revêtit encore de ses fantastiques attraits.

Les progrès de ce sentiment étaient rapides chez Tréa ; mais il fallait encore les hâter davantage, car Paul allait revenir, et avec lui bien des scrupules oubliés. La jeune fille était encore trop naïve pour savoir lui dire en face : — J’en aime un autre que vous, vous à qui j’ai promis d’être votre femme.

L’occasion d’une lutte décisive se présenta le lendemain. Le colonel était seul avec Tréa. La jeune fille se livra délicieusement à l’un de ces entretiens auxquels le laisser-aller, la confiance, et une tendresse que l’on ne s’avoue pas encore, ou que l’on se dissimule, impriment une teinte vague de rêverie, un bonheur d’autant plus puissant, qu’il est plus secret.

Elle vint à parler des plaisirs de la vie, et cita une personne de connaissance comme un homme parfaitement heureux.

— Heureux ! dit l’Anglais.

Heureux ! Il y en a bien que l’on dit heureux !

Et si l’on savait ce qu’ils souffrent, peut-être ne voudrait-on pas changer de sort avec eux, au prix de la mollesse du luxe, de l’éclat du rang de la gloire du renom.