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LITTÉRATURE.

une fille unique, véritable enfant gâté, ayant des caprices délicieux, et d’un fantasque à désespérer un mari ou à le rendre le plus heureux des hommes. Nourrie de romans, comme toutes les jeunes filles de province, elle était exaltée, avait un jugement incorrect, et rêvait le type du bonheur sous les traits d’un officier de cavalerie, à la croix duquel chaque factionnaire porte les armes.

Du reste, se laissant marier à Paul sans regret comme sans joie, et se disant en elle-même : — C’est un bon garçon qui m’aimera autant qu’il est capable d’aimer, c’est-à-dire tout doucement, et près duquel je trouverai une sorte de bonheur négatif.

Le rang que donnaient au père de Tréa sa considération et sa fortune n’était que secondaire. D’après l’expression consacrée, on le mettait parmi les bons bourgeois, et rien de plus. La vanité de la jeune fille se sentit flattée quand Paul, avec un air solennel inusité chez lui, présenta d’abord à M. Vandermondt, puis à mademoiselle Tréa Vandermondt : « — Monsieur le colonel, sir Edward Sydney, de Sydney-Hall. »

Les façons distinguées de sir Edward contrastaient tellement avec les manières rondes et bourgeoises de Paul, qu’elles inspirèrent d’abord à Tréa une sorte de crainte mêlée de défiance d’elle-même et de respect pour sir Edward. Elle ne se livra pas ce soir-là à son babil accoutumé, dévergondage délicieux de malice et de candeur. Elle se tint sur la réserve, osant à peine parler, et répondant avec timidité.

Ce fut une grande affaire pour elle quand, le lendemain, elle vit arriver sir Edward.

Paul était parti, le matin même, pour une affaire importante qui devait le retenir absent pendant quelques jours.

Quoique Tréa ne voulût point passer pour une sotte, il lui fut impossible de surmonter l’impression de supériorité que sir Edward produisait sur elle. Elle était flattée de se voir en rapport avec un homme de son rang et de son mé-