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l’a sauvé de mon poignard, mais je vais le livrer à la justice nationale, et le plus beau jour de ma vie sera celui où je vous apporterai la tête de mon frère !… »

En prononçant ces exécrables paroles, il étendit au-dessus de la tribune son bras rouge et sa main blanche, de manière à figurer à la pensée dans une éternité de souvenirs, l’idéal même du bourreau. Je m’aperçus qu’il avait des manchettes.

Quelque temps après, René-François Dumas était président du tribunal révolutionnaire. La scène qui s’était passée à Besançon se renouvela en sens opposé à Lons-le-Saulnier. La fortune révolutionnaire du jacobin avait nui à l’influence du patriote. Une rumeur inaccoutumée accueillit Dumas l’aîné dans le club insurgent des fédéralistes. — « Que me reproche-t-on, s’écria-t-il ? — Rien, répliqua un des membres de l’assemblée ; mais nous ne pouvons nous empêcher de voir en toi le frère de ton frère. – Mon frère, grand Dieu ! reprit Dumas ; de quel frère me parlez-vous ? » Et se précipitant sur le sein d’Ebrard, qui portait avec lui le poids de cette administration héroïque et qui jouissait dans le Jura de la plus glorieuse popularité que puisse ambitionner un citoyen, celle de la vertu : — « Mon frère, dites-vous ? mon frère, le voilà ! » Ce mot apaisa tous les soupçons, et l’élan de ces deux hommes de bien qui s’embrassaient entraîna la multitude. Je puis me tromper, mais ce tableau n’a rien à envier, selon moi, à la grandeur des temps antiques.

Puisque j’ai parlé du président du tribunal révolutionnaire, je me crois obligé à compléter son portrait, autant que me le permettent les renseignemens que j’ai pu recueillir de la bouche de ses compatriotes et de ses contemporains, je ne dirai pas de ses amis : on ne lui en a point connu. C’était un homme actif, studieux, sobre jusqu’à l’austérité, régulier dans ses mœurs, exact dans ses engagemens. Pendant que la guillotine battait monnaie sur la place de la Révolution, suivant l’épouvantable expression de l’orateur le plus fleuri de la Montagne, le terrible fournisseur du trésor