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SOCIÉTÉS POPULAIRES.

politique sans bases. Il n’y avait pas grand effort à passer de nos études de collége aux débats du Forum et à la guerre des esclaves. Notre admiration était gagnée d’avance aux institutions de Lycurgue et aux tyrannicides des panathénées ; on ne nous avait jamais parlé que de cela. Les plus anciens d’entre nous rapportaient qu’à la veille des nouveaux événemens, le prix de composition de rhétorique s’était débattu entre deux plaidoyers, à la manière de Sénèque l’orateur, en faveur de Brutus l’ancien et de Brutus le jeune. Je ne sais qui l’emporta, aux yeux des juges, de celui qui avait tué son père, ou de celui qui avait tué ses enfans ; mais le lauréat fut encouragé par l’intendant, félicité par le gouverneur, caressé par le premier président, et couronné par l’archevêque. Le lendemain on parla d’une révolution, on s’en étonna, comme si on n’avait pas dû savoir qu’elle était faite dans l’éducation du peuple. Si la mode de ces suasoires pédantesques venait à se renouveler, et qu’il fût question de décider qui a le plus contribué, de Voltaire ou de Rousseau, à l’anéantissement de nos vieilles doctrines monarchiques, j’avoue que je serais passablement embarrassé sur le choix, mais je ne dissimulerais pas que Tite-Live et Tacite y ont une bonne part. C’est un témoignage que la philosophie du xviiie siècle ne peut s’empêcher de rendre aux jésuites, à la Sorbonne et à l’Université.

On ne voit maintenant les sociétés populaires de ce temps-là que sous deux points de vue, l’atroce et le ridicule ; et c’était, à la vérité, leur aspect le plus sensible ; mais on n’imagine pas tout ce qu’elles ont développé d’esprits subtils, de facultés imposantes, et même de sentimens généreux. Je parlais tout à l’heure de ce ferblantier de Besançon qui osa donner à Robespierre jeune, dans une séance mémorable, une si rude leçon d’égalité. Ce brave homme s’appelait Chevalier, et je le nomme avec d’autant moins de scrupule, que jamais son influence austère, mais généralement bienveillante, ne s’est trouvée compromise dans un acte violent. Je me rappelle une autre époque où il ne manifesta pas avec