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VOYAGES.

cap, nous les vîmes venir à nous, grosses et menaçantes, roulant avec fracs. Présente le bout à la lame ! Mais nous n’avancions pas. Rentrez vos avirons ! Mâtez votre mât de misaine et votre grand mât ! Larguez votre misaine, votre taillevent ! Mais il n’y avait presque pas de vent et une mer terrible. Démâtez ! Armez vos avirons ! Avant partout !… Le courant et les lames nous drossaient, et nous étions toujours à même distance de terre. Grois s’élevait noir et perpendiculaire à notre droite. Nous tournions sur nous-mêmes, et le vent de nord-ouest commençant à se lever, la mer devint encore plus forte ; la chaloupe était pleine d’eau. Trempés et transis de froid, nous regardions d’un œil cette bruyante lame, si immense, si puissante, auprès de nous, si petits, perdus au milieu de ce chaos de l’océan. Si nous avions été pris de côté, c’était fait de nous. Adieu Paris !

À minuit la lune se coucha, et nous laissa dans d’épaisses ténèbres. Le vent augmenta encore, et du nord-ouest, complètement debout ! Tout en essayant de me tenir en équilibre, il me passa bien des idées en tête ; je chantais l’air des cloches de la Somnanbule. Cela me reportait si loin de ce noir Grois ! Du reste, sans nous le dire, nous pensions bien tous que le sol de la patrie ne s’engraisserait jamais de nos dépouilles ! À une heure, il y eut aurore boréale. Les pêcheurs de Terre-Neuve donnent le nom de marionnettes à ce phénomène. On voit au nord des fusées monter et descendre, des bombes éclater, paraître