Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
VOYAGES.

j’avais, comme font les sauvages, barré avec des cordes et des branches plusieurs chemins qui conduisaient au mien. Lorsqu’un caribou rencontre un obstacle, au lieu de se détourner, il tâche de se frayer un passage avec ses bois, et prévient ainsi le chasseur par le bruit qu’il fait. Il en vint un. Je tirai au jugé, et en débarrassant les branches je le trouvai étendu par terre, sans vie. C’était un jeune caribou dont les bois étaient encore très-courts.

La brume devint très épaisse vers une heure ; tout changea alors d’aspect : les cailloux me semblaient des collines, et je croyais voir la mer partout. La tristesse dans le cœur, j’errais depuis long-temps à l’aventure, et comme perdu dans le brouillard, quand tout à coup le ciel s’éclaircit, et j’aperçus l’étang noir que je cherchais, et qui nous servait à reconnaître le chemin de notre tente. Il se distinguait des quarante autres qui couvrent Grois par un petit îlot qui s’élevait au milieu. De là on montait sur une éminence d’où l’on voyait la fumée de notre feu.

Vers onze heures commencèrent nos infortunes. Nous tuâmes beaucoup de courlieus, il est vrai, nous en avions des chapelets pendus tout autour de nous ; mais la brume revint, et avec elle, en terme marin, une brise carabinée qui nous glaçait. J’étais d’avis de retourner à notre gite, mes compagnons s’y refusèrent, et nous continuâmes à chasser dans l’eau jusqu’aux genoux, car Grois n’est que bois, marais, étangs et rochers ; on ne peut se tenir sur les rochers,