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CORRESPONDANCE ET VARIÉTÉS.

lire comme dans ceux d’un homme des impressions tristes ou riantes, sévères ou gracieuses, et toutes ensemble feront surgir dans votre âme l’idée d’un peuple, d’une foule agitée, non pas d’hommes, mais d’êtres géans, monstrueux, dont la notion n’était pas encore entrée dans le domaine de votre imagination[1].

Des objets d’une telle dimension, des effets d’une telle magie ne sont pas susceptibles d’être représentés ; il n’y a point d’art humain qu’ils n’écrasent. D’ailleurs, que peindre et que décrire dans ce labyrinthe démesuré ? Par où commencer et par où finir ? C’est de l’ensemble que résulte une émotion profonde ; vous ne l’obtiendrez pas en ne reproduisant qu’un lambeau de l’original. Ce n’est point la beauté de telle montagne qui vous place sous un charme si puissant, c’est la réunion ou plutôt l’amoncellement de la multitude ;

  1. Cette idée, de prêter une sorte d’animalité à des objets aussi informes et aussi matériels que des montagnes, pourra paraître un peu forcée. Cependant la fiction peut encore être accrue, et il est incroyable jusqu’où elle peut aller. Que sera-ce, par exemple, si à la situation que je viens de décrire il se joint des voix inconnues, de vagues gémissemens répandus dans les airs, et qui, sortis de ces masses inertes, viennent frapper votre oreille au milieu de cette contemplation méditative ? C’est pourtant ce qui peut arriver. J’ai lu dans un des numéros du Temps, du commencement de septembre dernier, le récit d’un voyageur qui raconte que, dans une de ses excursions, étant parvenu à un endroit peu connu des Pyrénées, il y avait entendu de ces bruits qui l’avaient on ne peut plus surpris, sans qu’il ait pu découvrir d’où ils provenaient. Il en attribue la cause (si ma mémoire ne me trompe pas) au frottement de quelque masse de neige mise en mouvement par la chaleur des rayons solaires, ou au craquement que ces mêmes rayons font produire aux glaces exposées à leur action. Pour achever de montrer quelles peuvent être ces influences fantastiques, je n’aurais qu’à ouvrir le grand livre des superstitions humaines, et l’on y verrait de toutes parts des populations divinisant des montagnes, et courbées devant leurs augustes fronts. Ce culte, quoique borné à des hommes ignorans, dit assez combien ces lieux-là, parlent à l’imagination, et tout ce qu’elle peut s’y permettre.