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LITTÉRATURE.

bien des gens à Paris se contentent du spectacle des spectateurs, et c’est déjà pour nous une chose très-curieuse qu’une muraille derrière laquelle il se passe quelque chose. »

Mais une véritable merveille de ce livre, c’est le chapitre intitulé Paris à vol d’oiseau ; vaste panorama du vieux Paris du xve siècle, que l’auteur a reconstruit en une trentaine de pages. C’est surtout dans ce chapitre qu’on trouve ce pittoresque de style, ces pensées neuves et hardies dont nous parlions tout à l’heure.

« Paris est né, comme on sait, dans cette vieille île de la Cité qui a la forme d’un berceau. La grève de cette île fut sa première enceinte, la Seine son premier fossé. Paris demeura plusieurs siècles à l’état d’île, avec deux ponts, l’un au nord, l’autre au midi, et deux têtes de ponts, qui étaient à la fois ses portes et ses forteresses : le grand Châtelet sur la rive droite, le petit Châtelet sur la rive gauche. Puis, dès les rois de la première race, trop à l’étroit dans son île, et ne pouvant plus s’y retourner, Paris passa l’eau. Alors, au-delà du grand, au-delà du petit Châtelet, une première enceinte de murailles et de tours commença à entamer la campagne des deux côtés de la Seine. De cette ancienne clôture il restait encore au siècle dernier quelques vestiges ; aujourd’hui il n’en reste que le souvenir, et çà et là une tradition, la porte Baudets ou Baudoyer, porta Bagauda. Peu à peu le flot des maisons, toujours poussé du cœur de la ville au dehors, déborde, ronge, use et efface cette enceinte. Philippe-Auguste lui fait une nouvelle digue. Il emprisonne Paris dans une chaîne circulaire de grosses tours, hautes et solides. Pendant plus d’un siècle les maisons se pressent, s’accumulent et haussent leur niveau dans ce bassin, comme l’eau dans un réservoir. Elles commencent à devenir profondes ; elles mettent étages sur étages ; elles montent les unes sur les autres ; elles jaillissent en hauteur comme toute sève comprimée, et c’est à qui passera la tête par-dessus ses voisines pour avoir un peu d’air. La rue de plus en plus se creuse et se rétrécit ; toute place se comble et disparaît. Les maisons enfin sautent par-dessus le mur de Philippe-