Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
L’ENFANT MAUDIT.

qui déguisait soigneusement sa voix, dis ton In manus.

— Plaignez-vous à haute voix, dit le rebouteur à la dame. Criez, jarni-dieu ! car cet homme a des pierreries qui ne vous iraient pas mieux qu’à moi !… Du courage, ma petite dame !

— Aye la main légère !… cria de nouveau le comte.

— Monsieur est jaloux ?… répondit le frater d’une petite voix aigre ; mais les cris de la comtesse couvrirent sa voix.

Aussi heureusement pour la sûreté que pour la renommée de maître Beauvouloir, la nature se montra clémente. C’était plutôt un avortement qu’un accouchement, tant l’enfant qui apparut était chétif, débile et sans consistance. Grâce à sa rare petitesse, le nouveau-né n’avait dû causer à sa mère aucune douleur aiguë.

— Par le ventre de la sainte Vierge !… s’écria le curieux rebouteur, ce n’est pas une fausse couche !…

À ces mots le comte fit trembler le plancher, tant il le frappa violemment du pied ! tandis que la comtesse pinça maître Beauvouloir.

— Ah ! ah ! j’y suis ! se dit-il à lui-même.

— Ce devait donc être une fausse couche ?… demanda-t-il à l’oreille de la dame masquée, qui lui répondit par un geste affirmatif, comme si ce geste était le seul langage qui pût exprimer ses pensées.

— Tout cela n’est pas encore bien clair ! pensa le rebouteur.

Comme tous ceux qui exercent son art avec habileté, le frater savait reconnaître assez facilement si une femme en était, disait-il, à son premier malheur.

Quoique la pudique inexpérience de certains gestes lui révélât la virginité de la comtesse en ce genre, le malicieux rebouteur s’écria :

— Madame accouche comme si elle n’avait jamais fait que cela !…

Un sourd grognement de rage sortit du gosier du comte, il trépigna d’une manière convulsive, et dit :

— À moi l’enfant !