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LITTÉRATURE.

couronnaient presque toujours ses opérations. Il luttait avec la corporation formidable des sages-femmes ; mais sa discrétion bien connue lui avait valu, de quarante lieues à la ronde, la clientelle de la haute noblesse, qui, dans ces temps de désordres, était souvent obligée d’initier à des secrets honteux, ou terribles, maître Antoine Beauvouloir. L’habitude d’être partout l’homme le plus important avait ajouté à son imperturbable gaîté une dose de vanité grave. Ses impertinences étaient presque toujours bien reçues dans les momens de crise, où il se plaisait à opérer avec une certaine lenteur magistrale. De plus, il était curieux comme un rossignol ; à ces deux défauts près, développés en lui par les aventures multipliées où le jetait sa profession, c’était le meilleur homme de Normandie.

En se trouvant placé par le comte devant une femme en mal d’enfant, maître Beauvouloir recouvra toute sa présence d’esprit. Il se mit à tâter le pouls de la dame masquée, sans penser aucunement à elle. C’était un maintien doctoral, à l’aide duquel il réfléchissait sur sa propre situation. Dans aucune des intrigues, soit honteuses, soit criminelles, où la force l’avait contraint d’agir en instrument aveugle, jamais les précautions n’avaient été gardées avec autant de prudence que dans celle-ci. Il pouvait souvent avoir compris que sa mort était mise en délibération, comme un moyen d’assurer le secret de l’entreprise à laquelle il participait malgré lui ; mais sa vie n’avait jamais été tant compromise qu’en ce moment. Il résolut, avant tout, de reconnaître ceux dont il était le complice, et de s’enquérir ainsi de l’étendue de son danger, afin de pouvoir sauver sa chère personne.

— De quoi s’agit-il ?… demanda le rebouteur à voix basse, en disposant la comtesse à recevoir les secours de sa vieille expérience.

— Ne lui donnez pas l’enfant…

— Parlez tout haut… s’écria le comte d’une voix tonnante, qui empêcha maître Beauvouloir d’entendre le dernier mot prononcé par la victime. — Ou sinon, ajouta le seigneur