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LITTÉRATURE.

pour tromper cette mère, dont la sévérité semblait grande, lui apportèrent les joies fécondes d’un amour innocent, permis et partagé…

Revivant, comme en songe, dans ces délicieuses journées où elle s’accusait d’avoir eu trop de bonheur, et d’autant plus qu’elle le sentait tout entier, elle se complut à revoir encore cette jeune figure aux regards enflammés, et cette bouche vermeille, qui lui parlait si bien d’amour. Elle avait aimé Chaverny, parce qu’il était pauvre ; et, en récompense, que de trésors elle avait découverts dans cette âme modeste et douce !…

Mais tout à coup meurt le président. Chaverny ne lui succède pas. La guerre civile survient flamboyante. Par les soins de leur cousin, elle et sa mère trouvent un asile secret dans une petite ville de la Basse-Normandie. Bientôt les morts successives de quelques parens la rendent une des plus riches héritières de France, et avec la médiocrité de fortune s’enfuit le bonheur. Alors la sauvage et terrible figure du comte d’Hérouville, demandant sa main et l’obtenant à force de terreur, lui apparaît comme la nuit qui étend un crêpe sur les richesses du soleil. La pauvre comtesse s’efforce de chasser le souvenir de toutes les scènes de désespoir et de larmes amenées par sa longue résistance ; mais elle voit confusément l’incendie de la petite ville, et Chaverny emprisonné. Puis elle arrive à cette épouvantable soirée où sa mère, pâle, mourante, se prosterne à ses pieds. Elle cède ; il est nuit ; le comte, revenu sanglant du combat, se trouve là. Elle appartient au malheur. À peine peut-elle dire adieu à son beau cousin.

— Chaverny, si tu m’aimes, ne me revois jamais !…

Elle entend le bruit lointain des pas de son noble ami. Elle garde au fond du cœur son dernier regard qu’elle voit si souvent en songe. Puis, la jeune fille est comme un chat enfermé dans la cage du lion, craignant à chaque heure les griffes puissantes du maître, toujours levées sur elle. La comtesse se fait un crime de se vêtir à certains jours de la robe que por-