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L’ENFANT MAUDIT.

— Madame, avait dit brutalement le comte à sa femme, quant à me donner un enfant dix mois après ma mort… je n’y peux !… — Mais, pour votre début, n’accouchez pas à sept mois.

— Que ferais-tu donc, vieil ours ? demanda le jeune marquis de Pont-Carré, pensant que le comte voulait plaisanter.

— Je tordrais fort proprement le col à la mère et à l’enfant.

Une réponse aussi péremptoire servit de clôture à cette discussion imprudemment élevée par un médecin bas-normand. Les convives gardèrent le silence en contemplant, avec une sorte de terreur, la jolie comtesse d’Hérouville ; car ils étaient persuadés que, dans l’occurrence, ce farouche seigneur exécuterait sa menace.

La terrible parole du comte retentit dans le sein de la jeune femme, alors enceinte ; et, à l’instant même, un de ces pressentimens qui viennent sillonner l’âme comme des éclairs l’avertit qu’elle accoucherait à sept mois. Une chaleur intérieure lui monta des pieds jusqu’au cœur, et ses oreilles tintèrent avec violence. Depuis lors, il ne se passa pas un jour sans que ce mouvement de terreur secrète n’arrêtât les élans les plus innocens de son âme.

Le souvenir du regard et de l’inflexion de voix qu’eut son mari en prononçant cet arrêt glaçait encore le sang de la comtesse, et lui faisait oublier ses douleurs lorsque, penchée sur cette tête endormie, elle y cherchait durant le sommeil les indices d’une pitié toujours absente pendant le jour. Tout à coup, sentant un mouvement vigoureux qui annonçait la turbulence de cet enfant menacé de mort avant de naître, elle s’écria bien doucement, et d’une voix qui ressemblait à un soupir :

— Pauvre petit !…

Elle n’acheva point. Il y a des idées qu’une mère ne supporte pas ; et la comtesse, incapable, en ce moment, de raisonner, fut comme étouffée par une angoisse d’âme qui lui était inconnue. Deux larmes, s’échappant de ses yeux, rou-